T r a d i t i o n    o r a l e


Avant l’introduction du syllabaire par les missionnaires, l’inuktitut était seulement une langue à tradition orale. Ainsi, les récits et légendes se transmettaient de génération en génération. Ils ont ensuite été progressivement traduits et recueillis dans de nombreux ouvrages.
En voici quelques exemples :

Aningagiik taqqirlu siqininnguqtuuk/ Le frère et la sœur deviennent le soleil et la lune
par Alexina Kublu

Comme Siqiniq venait juste d’accoucher, elle attendait que le sang s’arrête de couler dans un iglou, toute seule, du fait qu’elle devait être dans l’isolement. Bien qu’il y avait une danse au tambour dans un qaggiq, elle n’y a pas participé parce qu’elle devait rester dans l’isolement.
Quand ils ont dansé de nouveau, quelqu’un est entré et a éteint la qulliq et elle a été victime d’agression et de viol. Du fait qu’elle avait été traitée ainsi pendant plusieurs nuits elle a voulu savoir qui était l’inconnu qui l’agressait, alors elle a décidé de prendre de la suie du pot à eau qui était suspendu en permanence au-dessus de la flamme et de lui mettre de la suie sur le nez. On disait des gens qui étaient ainsi marqués qu’ils étaient «naat- » et on pouvait les identifier plus trad.
Alors quand ils ont recommencé la danse au tambour, son doigt était déjà recouvert de suie. De nouveau, quelqu’un est entré dans son iglou et sa qulliq a été éteinte, et pendant que son agresseur l’assaillait, elle l’a marqué de suie. Lorsqu’il est sorti, elle s’est vite mise à le suivre. Il est allé là où les gens dansaient au tambour. De l’extérieur, Siqiniq a entendu des rires parce qu’ils se moquaient de la personne qui avait été marquée. Elle a entendu quelqu’un dire : « Taqqiq, parti encore une fois pour chercher une femme seule, est un homme marqué. »
Elle était en état de choc et très en colère d’avoir été victime de son propre frère à plusieurs reprises alors quand elle est entrée dans le qaggiq, elle s’est coupé un sein.
Elle l’a donné à son frère en lui disant : « Mon frère ! Puisque tu penses que toute ma personne a si bon goût, mange ça ! »
Parce qu’il ne voulait pas le manger, elle a coupé son autre sein et a mis une mèche dans chacun d’eux. Puis elle suivi son frère dehors. Ils ont commencé à courir tout autour du qaggiq. Le sein que Taqqiq tenait a séché et il ne restait bientôt plus que des braises. L’un poursuivant toujours l’autre, ils sont montés dans le ciel.
Depuis de temps-là, le frère et la sœur se poursuivent. La lumière de Taqqiq est moins éclatante parce que, quand ils étaient encore sur la terre, le sein de sa sœur qu’il tenait a séché et il n’en n’est resté que des braises. Et puisque Siqiniq poursuit toujours son frère, en hiver elle reste cachée pendant si longtemps que, quand elle sort finalement et découvre que son frère est passé devant elle sans qu’elle s’en aperçoive, elle se met en colère, et quand l’été arrive, il fait souvent mauvais temps.

Texte extrait de :
Introduction, in Entrevues avec des ainés inuit, Saullu Nakasuk, Hervé Paniaq, Elisapee Ootoova, Pauloosie Angmaalik, sous la direction de Jarich Oosten et Frédéric Laugrand, volume 1, 1999, Nunavut Arctic College.

Tous les volumes de Entrevues avec des ainés inuit sont disponibles en inuktitut et anglais sur le site du Nunavut Arctic College : http://www.nunavut.com/traditionalknowledge/


Le faucon et l’oie (original en syllabique)
par Nua E9- 848

Un faucon voulait avoir pour femme une oie blanche ; longtemps cependant l’oie refusa de rejoindre le faucon. Le faucon dit : « Je volerai longtemps sur place immobile ». Les oies blanches, pendant leurs voyages [migratoires] au-dessus de l’eau, là où il n’y a aucune terre, ont l’habitude de se poser sur l’eau lorsqu’elles sont fatiguées. De fait, le faucon, après avoir pris l’oie blanche pour femme, se mit à la suivre. Mais il n’avait pas les mêmes qualités qu’elle, étant plus lent et n’étant pas un oiseau aquatique. En effet, lorsque les oies blanches sont fatiguées, elles se posent sur l’eau.
Le faucon [la] suivit [et] comme elles étaient posées [sur l’eau] il vola sur place. « Je vais voler sur place », dit-il ; mais comme il était fatigué il chercha à se poser sur le dos de l’oie blanche et, ce faisant, lui arracha les plumes du dos et culbuta tout simplement dans l’eau. Telle fut la mésaventure du faucon.

L’être à moitié poisson (original en syllabique)
par Taivitialuk Alaasuaq

Cet homme était parti à pied, à la recherche de bois [d’épave] sur le rivage ; marchant sur le rivage, il cherchait du bois d’épave. Il vit alors, là-bas, au loin sur le rivage, un être mi-poisson mi-humain qui se mit à [lui] faire des signes. Comme on lui faisait des signes, il [y] alla ; de fait quand il parvint près de lui : « N’approche plus ! N’approche plus ! Tiens-toi simplement à courte distance ! ». Ainsi parla l’être à moitié poisson. « Mais comment pourrais-je ne pas te toucher, je ne pourrai pas te remettre dans l’eau », ainsi parla l’homme.
« Pars à la recherche de bois, cherche un morceau de bois, tu essayeras de me mettre dans l’eau ; si tu me remets dans l’eau, je te récompenserai », c’est ainsi qu’il parla.
De fait, celui qui cherchait du bois, partit à la recherche d’un morceau de bois qui pourrait lui servir à [le] remettre dans l’eau. Comme l’être à moitié poisson était très lourd et reposait au milieu des pierres, il travailla longtemps. De fait, comme il l’avait remis dans l’eau et qu’il lui avait fait atteindre l’eau, il se fit dire ainsi, ainsi parla l’être à moitié poisson : « Au lever du jour j’apporterai ici un tourne-disque, un fusil et une machine à coudre », il parla ainsi. Alors l’être à moitié poisson partit au loin vers le large, dans l’eau. L’homme, lui, rentre tout simplement chez lui.
Le lendemain, il retourna là-bas, sur le rivage, dès le lever du jour, à l’endroit où il l’avait poussé vers l’eau. Effectivement l’être à moitié poisson avait apporté sur le rivage un tourne-disque, un fusil et une machine à coudre, mais lui-même n’était plus visible ; il [l’homme] vit seulement le tourne-disque, la machine à coudre et le fusil. Alors, nous, les Inuit, nous pensons que tout les Blancs ont appris [à faire comme l’être à moitié poisson]. Voilà l’histoire, c’est ainsi qu’elle s’est passée. C’est fini, je m’arrête parce que c’est terminé.

Ces deux textes sont extraits de :
ARIMA Eugene et NUNGAK Zebedee, 1988, Inuit stories Légendes inuit, Povungnituk, traduction inuktitut-français de Bernard Saladin d’Anglure, Hull, Musée canadien des civilisations, 159 p.

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